11 févr. 2007

40 ans de chansons - Vers démiurgiques





Jamais sans doute poésie n’aura autant mérité le nom de “poésie d’idées’’ que celle produite par notre aède durant quatre décennies.

C’est cette année que Lounis Aït Menguellet boucle ses quarante années au service de la chanson kabyle. Une longue carrière dont le poids et la création valent leur pesant de gloire, de dévouement et de satisfaction pour le poète comme elles valent leur signification d’un chemin fait ensemble avec son public assidu et ses fans émerveillés.

Le sens des mots kabyles a pris avec Lounis la voie de la sagesse et les raidillons de la réflexion profonde. Jamais sans doute poésie n’aura autant mérité le nom de ‘’poésie d’idées’’ que celle produite par notre aède durant quatre décennies. Non pas que les images et les tropes y cédassent leur place à un tyrannique moralisme, mais, au contraire, la métaphore n’est là que pour soutenir une construction harmonieuse où le verbe et son halo de suggestions et de réflexions évoluent dans un climat symbiotique à toute épreuve. N’est-ce pas lui qui nous apprend qu’il ne suffit pas d’avoir des yeux pour voir; le sens de la vision, soit on l’a soit ou on ne l’a pas.

Depuis la tradition poétique la plus ancienne ancrée dans le territoire de la Kabylie-tradition portée entre autres par des bardes tels que Youcef Ukaci, Si Moh U M’hand ou Cheikh Mohand Oulhocine-, jusqu’à nos jours, aucune catégorie à caractère classificatoire ne peut contenir ou circonscrire la poésie de Lounis Aït Menguellet. Les fougues de la jeunesse versée dans les élans sentimentaux y sont rendues avec une rare expressivité qui exclut à la fois la grivoiserie et l’indolence. Toute la jeunesse des années 70 s’y retrouvait. Mieux, à ce feu rongeant les cœurs, notre poète insufflera des réflexions sur la vie et la mort, sur l’absurde conduisant le monde et sur l’angoisse existentielle. La prouesse qui, avec le recul, paraît comme une formidable révolution culturelle, ce fut l’expression publique de l’amour dans la société kabyle loin de la stérile cagoterie et de l’hypocrite rigorisme. En cela, Lounis aura prolongé et élargi la voie ouverte par les Cherif Kheddam, Taleb Rabah et d’autres.

Par la suite, notre poète se fera, avec d’autres voix, le porte-parole d’une génération qui subira les désenchantements et les déceptions liées à l’indépendance du pays. L’arbitraire et la tyrannie subis par le peuple algérien ont trouvé un profond écho dans les vers de Lounis. Il exprimera cette terrible infortune simultanément avec la dénonciation du déni identitaire qui frappera la Kabylie et l’Algérie entière. La revendication culturelle berbère se trouvera mêlée dans les strophes d’Aït Menguellet avec la dénonciation de la situation sociale et politique du pays. Tout le mérite de notre poète est d’avoir su marier esthétique poétique avec ‘’discours’’ revendicatif. En outre, il a pu génialement combiner tradition et modernité au point de s’inspirer des valeurs littéraires universelles pour enrichir la nouvelle littérature kabyle portée par la chanson.
Il en viendra à une pensée encore plus élaborée avec les grandes interrogations sur la vie, la marche du temps, la guerre, la morale politique et le sentiment de l’absurde.
Le verbe de Lounis Aït Menguellet peut légitimement être considéré comme celui d’un intellectuel d’un nouveau genre : à la sapience traditionnelle kabyle, il a ajouté et greffé l’apport de la culture universelle avec une harmonie qui élève le tout au rang de littérature originale. Et c’est à ce titre que ses pièces poétiques peuvent prétendre dignement à l’enseignement dans nos classes.

Exemple de self-made-man qui ne doit son nom qu’à un travail et un effort continus, Aït Menguellet est l’image de la Kabylie et de l’Algérie qui luttent pour des lendemains meilleurs, qui luttent contre toutes les formes d’entraves y compris celles qu’elles nourrissent dans leurs propres entrailles.


A.N.M - La Dépêche de Kabylie - Édition du Lundi 29 Janvier 2007 N° 1414

Parcours

Lounis Aït Menguellet est né le 17 janvier 1950 à Ighil Bouammas où il vit toujours. Il est père de six enfants. Il a fait ses études en ébénisterie à Alger dans les années 1960. Ses premiers pas dans la chanson, il les fit à l'âge de 17 ans dans l'émission «Ighenayen uzekka» (chanteurs de demain), une émission radiophonique (Chaîne II) animée par l'artiste Chérif Kheddam.
Ce n'est qu'en 1973, après son service militaire qu'il effectua à Blida et à Constantine, qu'il se consacra profondément à la chanson. Lounis dit qu'il est incapable de donner le nombre exact de ses chansons, qui avoisinent les 200 titres. Lounis est son prénom de tous les jours (donné par sa grand-mère avant même sa naissance). A l'état civil, son oncle l'enregistre sous le prénom Abdennebi. En 1985, dans le sillage de la création de la Ligue des droits de l'homme et l'arrestation de ses éléments, il est également arrêté pour une histoire montée de détention d'armes à feu. Il était pourtant connu pour être un collectionneur d'anciennes armes ayant servi durant la guerre de Libération. Il fera quand même six mois de prison. La carrière de Lounis Aït Menguellet peut être scindée en deux parties selon les thèmes traités : la première, sentimentale de ses débuts, où les chansons sont plus courtes et la seconde, politique et philosophique, caractérisée par des chansons plus longues et qui demandent une interprétation et une lecture des textes. De nombreux ouvrages et études ont été consacrés à son œuvre en tamazight, en arabe et en français